Retour sur 20 ans de coopération dans le domaine de l’eau transfrontalière en Afrique de l’Ouest : bilan et enseignements

Posté le : 1 mars 2022


Le Fleuve Sénégal aux abords de Saint-Louis, à la frontière de la Mauritanie. Crédits photo : Kalyan Neelamraju

Depuis vingt ans, la Banque mondiale a investi 714 millions de dollars dans dix projets régionaux concernant les quatre principaux bassins fluviaux transfrontaliers d’Afrique de l’Ouest — le Sénégal, le Niger, le lac Tchad et la Volta. Partager sur X Le programme de Coopération pour les eaux internationales en Afrique (CIWA) est un fonds d’affectation spéciale multidonateurs qui aide les pays d’Afrique subsaharienne à développer les possibilités d’assurer une croissance durable et résiliente face au climat en éliminant les obstacles à une gestion concertée des ressources en eau. CIWA est un important partenaire de la Banque mondiale en Afrique de l’Ouest. La Banque mondiale poursuit actuellement deux projets dans les bassins du Sénégal et du Niger. Le projet du Sénégal s’achèvera à la fin de l’année ; pourtant, la nécessité de coopérer dans le domaine des eaux transfrontalières n’a jamais été aussi impérieuse.

Les bassins transfrontaliers subviennent aux besoins de la plupart des populations d’Afrique de l’Ouest. Les zones humides telles que les lacs et les plaines inondables, partagées par les pays voisins, fournissent des services écosystémiques inestimables comme l’approvisionnement en nourriture et la réduction des effets des inondations et de la pollution. Toutefois, la croissance démographique, le changement climatique, un développement peu maîtrisé et le manque de gouvernance exercent des pressions de plus en plus fortes sur ces eaux transfrontalières, et mettent ainsi en péril tous les avantages qu’elles procurent.

La Banque mondiale dispose d’une occasion unique de passer à la vitesse supérieure et de s’adapter à l’évolution des priorités. La première étape a consisté à dresser un bilan des deux décennies de présence de la Banque dans la région : Quelles leçons avons-nous pu en tirer ? Quels ont été notre impact, nos principaux accomplissements et les difficultés rencontrées ? Un récent document de travail intitulé « Interventions de la Banque mondiale dans les eaux transfrontalières en Afrique de l’Ouest : rétrospective et enseignements tirés, » dresse le bilan des activités menées par la Banque dans la région et ouvre de nouvelles perspectives pour la gestion et la mise en valeur des ressources en eau.

Les interventions la Banque mondiale liées à la gestion des ressources en eau en Afrique de l’Ouest se sont surtout traduites par des projets régionaux. Partager sur X Une première série de financements régionaux du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et de CIWA a permis à la Banque d’intervenir au niveau des quatre plus grands bassins d’Afrique de l’Ouest disposant déjà d’organismes de bassins fluviaux, qui pouvaient le plus bénéficier de la coopération entre riverains sur ces ressources en eau partagées. Ces financements se sont traduits, dans les bassins du Sénégal et du Niger, par des programmes de prêts régionaux à long terme. La mise en œuvre des financements a été plus difficile dans les bassins du lac Tchad et de la Volta en raison de contraintes structurelles qui ont entravé la coopération, de problèmes liés à la mobilisation des ressources et de failles dans la conception des projets. Malgré les progrès réalisés au niveau du renforcement institutionnel, aucun programme de prêt n’a donc fait suite au financement initial dans ces deux bassins. La Banque poursuit toutefois sa collaboration auprès de la Commission du bassin du lac Tchad, avec le soutien de CIWA, puisque la région reste particulièrement fragile et hautement prioritaire pour la direction de la Banque. L’initiative de coopération transfrontalière du lac Tchad lancée par CIWA vise à jeter les bases analytiques et institutionnelles nécessaires à la sécurité hydrique et à concevoir des activités destinées à soutenir les futurs investissements dans la région.

Les programmes de prêts pour les bassins du Sénégal et du Niger ont eu des effets nombreux et notables.

Les vingt années de coopération de la Banque mondiale avec l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) ont facilité l’intégration de la Guinée, où se trouve le cours supérieur du fleuve, dans cette dernière. Elles ont également permis d’améliorer considérablement le partage des informations et d’élaborer, d’adopter et de mettre en œuvre un plan directeur pour le bassin et une formule de partage des coûts. Cette formule fait de l’OMVS l’un des rares organismes de bassin fluviaux au monde (et le seul en Afrique) à être copropriétaire de toutes les infrastructures fluviales. Les investissements ont largement profité à la population du bassin. Ils ont notamment permis d’accroître les revenus et la sécurité alimentaire des populations rurales, grâce à la réhabilitation de 20 000 hectares de terres irriguées, à la gestion des espèces envahissantes et à la réduction de la prévalence du paludisme et de la schistosomiase, qui avait rapidement augmenté depuis les années 1980 par suite de la construction des barrages de Manantali et de Diama.

La collaboration que poursuit depuis 15 ans la Banque mondiale avec l’Autorité du bassin du Niger (ABN) favorise la gestion durable et concertée des ressources du bassin, ainsi que la prise de décisions importantes concernant les infrastructures. Le soutien de la Banque s’est avéré essentiel afin d’empêcher la prise de décisions irréversibles concernant le barrage de Fomi, et a permis d’abandonner le site initial où le barrage aurait eu de très graves répercussions environnementales et sociales réduisant à néant les avantages économiques escomptés. Il a également permis de faire face aux risques liés à la construction du barrage de Kandadji qui aurait eu des retombées négatives sur la population du bassin. Enfin, la Banque mondiale a contribué à définir, adopter et concrétiser une conception partagée, une charte de l’eau et un plan d’investissement de 3,11 milliards de dollars en faveur de la résilience climatique. Ce dernier a été présenté lors de la COP21 à Paris et a permis à l’ABN de mobiliser d’importants investissements. CIWA a été un partenaire majeur de la Banque mondiale dans le cadre des activités menées par cette dernière avec l’autorité du bassin du Niger, en finançant à la fois l’assistance technique exécutée par le bénéficiaire et celle exécutée par la Banque.


Une famille remplit des réservoirs d’eau en Afrique de l’Ouest. Crédits photo : Commission du bassin du lac Tchad (CBLT)

Ces programmes ont toutefois été confrontés à de nombreux problèmes. Premièrement, le contexte instable et des capacités institutionnelles insuffisantes ont souvent ralenti la mise en œuvre des interventions au niveau national, et les ont parfois même interrompues. Deuxièmement, les partenaires clients ont souvent consacré moins de moyens à la mise en œuvre de mesures non structurelles, comme la formation et le renforcement des capacités, qui permettent pourtant d’assurer la pérennité des investissements structurels, surtout après la clôture du financement de la Banque mondiale. Troisièmement, des efforts plus importants auraient pu être déployés pour promouvoir des changements profonds et durables qui auraient aidé ces organismes à s’acquitter de leur mandat, par exemple en mettant en place des mécanismes de financement efficaces et durables. 

Les activités de la Banque dans les eaux transfrontalières présentent de manière générale encore certaines insuffisances dans plusieurs domaines. Les interventions aux niveaux régional et national, qui auraient dû être coordonnées et se renforcer mutuellement, ont été menées de manière essentiellement indépendante. Les aquifères transfrontaliers n’ont reçu que peu d’attention, malgré les possibilités qu’ils offrent pour la résilience climatique. Si la situation s’améliore aujourd’hui, d’autres domaines hautement prioritaires ont été négligés ces vingt dernières années, à savoir la parité femmes-hommes et l’inclusion sociale, la fragilité, les conflits et la violence, sans oublier les stratégies fondées sur la nature, qui nécessitent également une solide approche intersectorielle.

« Comme le souligne ce rapport, il est plus urgent que jamais pour les pays d’Afrique de l’Ouest de collaborer sur les ressources en eau partagées. Il est essentiel que ces pays unissent leurs forces pour assurer la sécurité hydrique et la résilience sur le long terme, alors que le changement climatique provoque des sécheresses prolongées et plus fréquentes et que la forte instabilité de la région accentue les migrations forcées. »

Yogita Mumssen, Directrice de programme, Afrique de l’Ouest

L’action menée de longue date par la Banque dans le domaine des eaux transfrontalières en Afrique de l’Ouest est à un tournant. Les projets, la coopération technique et la mobilisation des services qui se fondent sur les leçons acquises au cours des 20 dernières années permettent à la Banque mondiale et à ses partenaires d’être extrêmement bien placés pour soutenir les efforts déployés en vue d’améliorer la gestion des ressources en eau transfrontalières et de passer de la confrontation à la coopération. CIWA finance plusieurs analyses fondamentales en Afrique de l’Ouest axées sur ces questions, notamment l’amélioration de la gestion des ressources en eau dans le Sahel occidental et dans le Sahel central Partager sur X dans le but d’améliorer la gestion des ressources en eau en identifiant des investissements et des actions stratégiques concrètes et en comblant les importantes lacunes au niveau des connaissances et des capacités. L’initiative de CIWA sur les eaux souterraines au Sahel renforce les connaissances et les capacités de gestion des eaux souterraines et améliore la coopération régionale au Ghana, au Burkina Faso, au Niger, au Nigeria et en Côte d’Ivoire. Le document de travail sur le renforcement de la sécurité hydrique régionale pour accroître la résilience dans le G5 Sahel (Renforcer la sécurité régionale de l'eau pour une plus grande résilience dans le G5 Sahel (en anglais)) s’appuie sur cette note et propose un cadre pour la poursuite de l’intervention de la Banque mondiale dans le domaine des eaux transfrontalières en Afrique de l’Ouest ; ce nouveau cadre fera l’objet d’un blog (en préparation).

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